"Nous continuons à cultiver la mélancolie"
Publicado9 Jun 2013
A entrevista de António Pinto Ribeiro, curador do Próximo Futuro ao jornal Le Monde, na semana em que Portugal ocupou Paris com a sua mais recente criação artística.
Antonio Pinto Ribeiro est le commissaire général de "Proximo Futuro", vaste programme artistique lancé en 2009 par la Fondation Calouste Gulbenkian, et que l'on peut traduire par "le prochain futur", ou "le futur proche".
Essayiste, cofondateur en 1992 de Culturgest, principal centre culturel de Lisbonne financé par la banque Caixa Geral de depositos, il réfléchit à une esthétique portugaise dans la sérénité de cette fondation atypique, musée d'art contemporain cerné de jardins, centre d'art, fondé au début des années 1950 par un magnat du pétrole et devenu un rouage essentiel de la culture portugaise avec 90 millions d'euros de budget annuel en 2013.
On a souvent comparé la Fondation Gulbenkian à un ministère de la culture "bis"...
La Fondation a été un des principaux soutiens à la culture pendant le salazarisme, puis pendant les premières années de la démocratie, jusqu'aux années 1980. A cette époque, l'Etat portugais s'est mis à investir dans le cinéma, le théâtre, les arts contemporains.
Mais avec la crise actuelle et l'absence totale de vision culturelle du gouvernement [dirigé depuis 2011 par Pedro Passos Coelho (PPD/PSD), centre droit], les artistes se tournent à nouveau vers la Fondation Gulbenkian. Je n'ai pas le souvenir d'autant d'indigence politique depuis la dictature.
C'est une lente négligence. Par exemple, le Centre culturel de Belém (CCB), inauguré en 1992, a très bien fonctionné jusqu'en 2007. Mais aujourd'hui les salles de concert sont vides, le Musée d'art moderne Berardo, abrité par le CCB, est semi-privé. Il a beaucoup contribué à la valorisation de la collection de son propriétaire.
Comment le Portugal se situe-t-il aujourd'hui, culturellement ?
Le Portugal est un pays étrange, inégal, contradictoire. Nous avons une élite très instruite, très créative, des cinéastes, des architectes, des intellectuels d'une grande qualité. Mais la classe moyenne n'est pas au fait de la création. On lui a proposé un modèle de nouveau riche.
Nous avons vécu cinquante ans de salazarisme en étant à côté du monde. Nous n'avions accès à rien de contemporain, nous avons raté toutes les révolutions esthétiques. Puis l'Europe a apporté quantité d'argent, qui a servi à construire des bâtiments, des infrastructures, pas une nouvelle identité.
Comment définiriez-vous l'identité artistique portugaise ?
Par élimination. Ni espagnole, ni française, ni, ni... Je dirais que nous continuons à cultiver la mélancolie, la nostalgie, et que nous sommes imprégnés d'un certain expressionnisme du Sud. Bizarrement, la création portugaise a délaissé le baroque, elle est très incarnée, claire, nettoyée. Et bien sûr tournée vers l'Afrique et le Brésil, principalement pour les arts plastiques.
Et par rapport à l'Europe ?
Les Chantiers d'Europe, qui mettent cette année le Portugal à l'honneur, auraient pu être l'occasion d'un débat en profondeur, dont nous ne pouvons pas faire l'économie. La diffusion artistique est orientée vers l'Europe. Tous les créateurs se tournent vers elle, Paris étant une porte essentielle. Mais ils découvrent que ce n'est pas si simple, que cela ne fonctionne pas naturellement. D'où cette sensation d'être toujours à la périphérie. C'est un signe, auquel il convient de réfléchir.
La culture africaine est très présente à Lisbonne...
Bien sûr, et les temps changent. Il y avait avant la crise quarante mille Angolais vivant officiellement au Portugal ; aujourd'hui, près de cent mille Portugais sont partis vivre en Angola, à cause de l'effondrement économique ici et de la croissance là-bas. Cette inversion est fascinante.